Le compte personnel de formation (CPF) est un dispositif qui permet aux actifs de se former tout au long de leur vie professionnelle. Il est alimenté en euros chaque année et peut être mobilisé pour financer des formations éligibles, sans l’accord de l’employeur. Créé en 2015, le CPF a connu une réforme en 2019 qui a libéralisé son accès et son utilisation. Depuis, le succès du CPF ne se dément pas : plus de 5 millions d’inscriptions en formation ont été enregistrées, pour un coût global de 6,7 milliards d’euros.
Mais ce succès a aussi un revers : le déficit de France compétences, l’organisme qui gère le CPF, s’est creusé, obligeant le gouvernement à chercher des solutions pour réguler les dépenses et recentrer les formations sur celles qui favorisent l’emploi. Parmi ces solutions, l’une fait particulièrement débat : il s’agit d’instaurer un reste à charge pour les titulaires du CPF, c’est-à-dire une participation financière à la formation qu’ils souhaitent suivre. Quels sont les arguments pour et contre cette mesure ? Quels sont les impacts potentiels sur les bénéficiaires du CPF ? Quelles sont les alternatives possibles ?
Un reste à charge pour limiter les dépenses et orienter les choix de formation
L’idée d’un reste à charge pour le CPF n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été évoquée par le gouvernement en 2019, lors de la réforme du CPF, mais elle avait été abandonnée face aux critiques des partenaires sociaux. Elle est revenue sur la table en décembre 2022, sous la forme d’un amendement au projet de loi de finances 2023, déposé par le gouvernement.
Voici une vidéo relatant ces faits :
L’objectif affiché de cet amendement est de « proposer d’instaurer une participation du titulaire, quel que soit le montant de droits disponible sur son compte ». Cette participation serait modulée en fonction du coût de la formation et du niveau de qualification visé. Elle serait exonérée pour les demandeurs d’emploi et pour les salariés dont le projet de formation est co-construit avec l’employeur.
Le gouvernement justifie cette mesure par la nécessité de « bon fonctionnement » du dispositif, afin que « les formations s’inscrivent dans un projet professionnel solide et participent à la montée en compétences ou en qualification des actifs ». Il s’agit aussi, implicitement, de faire des économies sur le budget du CPF, qui pèse sur les finances publiques.
En effet, le CPF est financé par une contribution des employeurs, versée à France compétences, qui redistribue ensuite les fonds aux opérateurs de compétences (OPCO) chargés d’accompagner les salariés dans leurs projets de formation. Or, France compétences affiche un déficit structurel depuis sa création, en partie lié au succès du CPF, mais aussi à celui de l’apprentissage. Pour 2023, le budget prévisionnel du CPF est de 2,37 milliards d’euros, en baisse de 385 millions par rapport à 2022.
Le gouvernement espère donc que le reste à charge aura un effet dissuasif sur les demandes de formation jugées peu pertinentes ou peu qualifiantes. Il souhaite aussi que cette participation incite les bénéficiaires du CPF à se tourner vers des formations moins coûteuses ou vers des dispositifs alternatifs, comme le plan de développement des compétences de l’entreprise ou le conseil en évolution professionnelle (CEP).
Un reste à charge contesté par les acteurs de la formation et les bénéficiaires
L’amendement du gouvernement sur le reste à charge a suscité une levée de boucliers de la part des acteurs de la formation professionnelle et des bénéficiaires du CPF. Ils y voient une remise en cause du principe même du CPF, qui est un droit individuel et universel à la formation.
Les partenaires sociaux ont exprimé leur opposition à cette mesure, qu’ils jugent injuste et inefficace. Ils estiment que le reste à charge va pénaliser les salariés les plus modestes, qui n’auront pas les moyens de financer leur formation, et les plus qualifiés, qui seront les plus taxés. Ils craignent aussi que le reste à charge décourage les salariés de se former, alors que la crise sanitaire a révélé la nécessité de renforcer les compétences et la sécurisation des parcours professionnels.
Les organismes de formation ont également dénoncé le reste à charge, qu’ils considèrent comme une menace pour leur activité et pour la qualité des formations proposées. Ils redoutent que le reste à charge entraîne une baisse de la demande de formation et une concurrence accrue sur les prix, au détriment de la pédagogie et de l’innovation. Ils soulignent aussi que le reste à charge va complexifier le dispositif du CPF, qui est déjà difficile à appréhender pour les bénéficiaires.
Les bénéficiaires du CPF, enfin, ont exprimé leur mécontentement face au reste à charge, qu’ils perçoivent comme une atteinte à leur liberté de choix et à leur pouvoir d’achat. Ils ont lancé une pétition en ligne pour demander le retrait de cette mesure, qui a recueilli plus de 100 000 signatures. Ils ont aussi témoigné de l’utilité du CPF pour leur évolution professionnelle, leur reconversion ou leur création d’entreprise.
Un reste à charge enterré par le gouvernement ?
Face à la contestation, le gouvernement a fini par reculer sur le reste à charge. En septembre 2023, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a annoncé dans une interview à « L’Opinion » que l’idée était « toujours à l’étude », mais qu’il n’y avait « pas d’urgence » à publier le décret d’application concernant l’instauration du reste à charge.
Le ministre a argué des économies réalisées en 2023 sur le CPF, grâce au nettoyage du catalogue des formations, à la lutte contre les fraudes et à la sécurisation du portail d’inscriptions. Il a estimé que le CPF devrait finalement coûter un peu plus de 2 milliards d’euros en 2023, soit 400 millions d’euros de moins que prévu initialement.
Le ministre a aussi reconnu que le reste à charge posait des problèmes techniques et juridiques, notamment pour définir les cas d’exonération et les modalités de paiement. Il a également admis que le reste à charge n’était pas forcément adapté pour orienter les choix de formation des bénéficiaires du CPF.
En effet, une étude de la Direction de la recherche du ministère du Travail (Dares) publiée en février 2023 a montré que la majorité des formations financées par le CPF affichaient un objectif professionnel : améliorer ses perspectives de carrière, se reconvertir ou créer ou reprendre une entreprise. L’étude a aussi révélé que les bénéficiaires du CPF étaient satisfaits de leur formation et qu’ils avaient constaté des effets positifs sur leur situation professionnelle.
Le gouvernement semble donc avoir enterré le projet de reste à charge pour le CPF, du moins pour l’instant. Il pourrait toutefois revenir sur ce sujet si le déficit de France compétences se creuse à nouveau ou si la pression budgétaire s’intensifie. Il pourrait aussi envisager d’autres pistes pour réguler le CPF, comme la modulation des droits en fonction du niveau de qualification ou la mise en place d’un plafond annuel ou global de dépenses.
Une réponse pour “Le CPF, un dispositif de formation à réformer ?”