L’Union européenne est confrontée à un défi majeur pour garantir les droits des travailleurs dans un contexte de transformation numérique et de diversification des formes d’emploi. Deux projets de loi sont actuellement en discussion au niveau européen pour renforcer la protection sociale et le statut juridique des travailleurs des plateformes numériques, tels que les chauffeurs, les livreurs ou les travailleurs domestiques. Toutefois, ces textes sont menacés par l’opposition de plusieurs pays membres, dont la France, qui craignent de perdre leur souveraineté nationale ou de freiner la compétitivité des entreprises.
Quels sont les enjeux des deux projets de loi européens ?
Le premier projet de loi, présenté par la Commission européenne en octobre 2022, vise à réviser les règlements sur la coordination de la sécurité sociale au sein de l’UE. Il s’agit de garantir que les travailleurs qui se déplacent d’un pays à l’autre puissent bénéficier des mêmes droits et prestations sociales que les travailleurs locaux, qu’ils soient salariés ou indépendants. Le texte prévoit également de clarifier les règles applicables aux travailleurs détachés, c’est-à-dire ceux qui sont envoyés par leur employeur dans un autre pays pour une durée limitée.
Voici quelques points intéressants à retenir :
Le deuxième projet de loi, proposé par le Parlement européen en novembre 2022, concerne spécifiquement les travailleurs des plateformes numériques. Il a pour objectif de mettre fin aux situations de qualification erronée, qui privent certains travailleurs de leurs droits en tant que salariés. Le texte établit une présomption de salariat pour les travailleurs qui remplissent au moins deux des cinq critères suivants : plafonds applicables à la rémunération, supervision de l’exécution du travail, contrôle de la répartition ou de l’attribution des tâches, obligation d’utiliser un équipement fourni par la plateforme, impossibilité de choisir librement ses clients. Le projet de loi introduit également les premières règles de l’UE en matière d’utilisation des systèmes algorithmiques sur le lieu de travail, notamment le droit à l’information, à l’explication et au recours.
Pourquoi ces textes rencontrent-ils de la résistance ?
Ces deux projets de loi doivent être approuvés par le Conseil et le Parlement européens avant d’être adoptés définitivement. Or, ils font face à l’opposition de plusieurs pays membres, qui invoquent des arguments différents selon les cas.
Pour le projet de loi sur la coordination de la sécurité sociale, certains pays comme la France, l’Allemagne ou les Pays-Bas craignent que le texte ne favorise le « tourisme social », c’est-à-dire l’utilisation abusive des systèmes sociaux par des personnes qui ne travaillent pas ou qui ne recherchent pas activement un emploi. Ils souhaitent donc limiter l’accès aux prestations sociales aux citoyens mobiles qui disposent d’un droit de séjour légal sur leur territoire.
Pour le projet de loi sur les travailleurs des plateformes numériques, certains pays comme l’Irlande, le Luxembourg ou l’Estonie s’inquiètent que le texte ne nuise à la compétitivité et à l’innovation des entreprises du secteur numérique. Ils estiment que la présomption de salariat est trop rigide et qu’elle ne tient pas compte de la diversité des situations et des préférences des travailleurs. Ils plaident donc pour une approche plus souple et plus respectueuse du principe de subsidiarité.
Quelles sont les chances d’aboutir à un accord ?
Les négociations entre le Conseil et le Parlement européens sont en cours depuis plusieurs mois, mais elles n’ont pas encore permis de dégager un consensus sur les deux projets de loi. Le temps presse, car si aucun accord n’est trouvé d’ici vendredi 10 mars 2024, les textes seront abandonnés et il faudra attendre la prochaine législature européenne pour les relancer.
Les parties prenantes sont conscientes de l’urgence et de l’importance du dossier, qui concerne des millions de travailleurs dans l’UE. Elles affichent leur volonté de trouver un compromis équilibré et ambitieux, qui garantisse les droits des travailleurs tout en préservant la dynamique économique et sociale de l’Europe. Mais les divergences restent fortes et les marges de manœuvre sont étroites. Le défi est de taille, mais pas impossible.